LE SOIR
Lundi 19 août 1991
Un étonnant documentaliste amateur liégeois accumule un trésor d'informations
Moitié archiviste, moitié documentaliste, totalement original
Comment la passion de l'actualité écrite conduit à une
vision distanciée des choses. Ou portrait d'un passionné de l'information
Yves Gomrée, 37 ans, agent des Postes, travaille à Liège
depuis douze ans à une tour de Babel ; Il acquiert et répertorie
la presse quotidienne, il sélectionne, exploite, gère chaque jour
les informations écrites. Un travail qui l'occupe à raison de
quatre heures par jour, six jours par semaine, trois cents jours par an, il
s'oblige à accomplir sans jamais s'octroyer de " grandes "
vacances (sous peine d'ensevelissement sous l'avalanche accumulée des
journaux quotidiens qu'il s'impose de conserver, de dépouiller, découper,
classer chaque jour ouvrable dans une cinquantaine de thématiques qu'il
y a retenues.
Travail fou qui ne lui enlève de sens de l'humour : Avec mes petits ciseaux,
je suis le figaro de la presse sourit-il.
J'approche les quinze mille heures depuis que j'ai commencé
Travail entièrement bénévole
Mais le résultat n'est pas sans valeur : c'est une banque de données
de 500.000 articles.
Une collection ? Yves Gomrée n'aime pas le mot ; il préfère,
l'image de documentaliste. Son souci réel est scientifique son classement
de base est chronologique mais aussi et surtout thématique. Indispensable.
Un exemple :: le tremblement de terre de Liège tel qu'il a été
relaté dans les journaux le lendemain du 8 novembre 1983 et durant les
jours les jours qui ont suivi ne se résume à cette seule semaine
; le tremblement de terre est encore réel aujourd'hui par exemple dans
l'attente d'une ultime indemnisation..
Quelle satisfaction procure cette passion dévorante ?
Quand je boucle un dossier, quand je mets en page, je vois des choses insoupçonnables.
Comme à la fabrication image par image d'une animation de dessin Parfois
aussi je me dis : tu l'avais bien vu, il fallait suivre ce thème-là
! Le thème écologie par exemple, en 1980 déjà. Et
la guerre des Malouines l'a-t-on, vue venir ? Et lors de la première
tuerie dans le Brabant, savait-on que le thème allait avoir l'importance
qu'il a acquise ensuite ?
Yves Gomrée fait-il des paris ?
Le moins possible, je suis mauvais parieur. Il faut aller vers l'automatisme,
chercher à atteindre la transparence tout en sachant que c'est impossible.
Il faut s'efforcer au contraire d'oublier son propre point de vue : écouter
la BBC en français révèle que l'on est pas tous assis sur
la même chaise.
Quand Yves Gomrée a-t-il commencé son uvre de bénédictin
? En 1980. J'ai d'abord dépouillé huit quotidiens et des hebdomadaires.
Depuis 1984 et le don de la Maison de la Presse de Liège des quotidiens
des mois écoulés : treize à dix-sept quotidiens par jour.
(Il faut exploiter les versos des coupures également !). J'avais trois
boites au format A4 de 8 centimètres d'épaisseurs pour chaque
mois ; maintenant j'en ai quatre de douze centimètres d'épaisseur.
Mais finalement pour aboutir à quoi ?
Pour répondre à la question qu'es qui fait l'actualité
aujourd'hui ? Rester curieux de tout, essayer de comprendre. C'est pour moi
une forme d'aventure, une manière de transcender mon quotidien. Le flash-back
a du bon il rappelle ce qui a été affirmé à un moment
donné comme vérité et qui n'en n'a pas été
une ; Il est bon de se souvenir de temps à autre. Adopter une distance
Quelqu'un
qui fait cela systématiquement, ça n'existe pas.
Un souci d'exploit ?
Je ne vois pas qui peut me battre sur la question : que lisait-on dans la presse
à telle date ? Je suis persuadé que des gens seraient intéressés
d'accéder à cette information-là.
Conserve-t-il vraiment tout ?
Non. Je jette les petites annonces et les pages sportives ; je n'archive pas
non plus les informations en bref, ni les programmes de télévision,
ni les fêtes locales, le théâtre
je jette 75% Forcement
Quelles est l'avenir d'une telle banque de données privées ?
Devenir accessible, mais il faut de l'aide pour. Informatiser. Jusqu'ici, on
n'a pas vu la rentabilité de ce travail.
Pourtant il y a du gain de temps dans l'air.
Dans une boîte il y a cent journaux. Je peux les " faire " en
une heure. Et s'il y a présélection, cela va encore plus vite
et aller jusqu'à deux mille journaux à l'heure ! Mon dossier sur
la chute du régime roumain, c'est 1.500 pages d'extrait découpés,
collés, mis en page. L'idéal serait de faire cinq mille dossiers
suspendus, cinq mille périodes, cinq mille thèmes.
Un rêve vraiment ?
MICHEL HUBIN
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